Face à la Covid-19 et aux « séparatismes », la figure de l’école sanctuaire

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Nous sommes, par rapport aux pays comparables au nôtre, fort réticents à fermer les écoles. Un comptage rapide et indicatif montre par exemple que l’on a fermé les écoles seulement 10 semaines en France contre 15 en Espagne, 19 en Allemagne et 38 en certains endroits des États-Unis lors de la crise de la Covid-19.

Nous sommes aussi un pays où l’on n’a pas jugé bon que les enseignants soient parmi les catégories prioritaires pour la vaccination (contrairement là encore à d’autres pays comparables au nôtre), bien que les enseignants soient « au front » davantage que dans bien d’autres pays.

On peut bien sûr invoquer plusieurs raisons à cela. Mais il y en a une qui vient à l’esprit lorsque l’on connaît bien l’histoire de notre école, c’est la figure (plus ou moins intériorisée, et de façon plus ou moins consciente) de l’école comme « sanctuaire » qui joue un rôle dans l’acceptabilité de ces choix (on est en particulier « voué à se dévouer » dans un « sanctuaire »).

La thématique explicite de l’école comme « sanctuaire » revient de façon récurrente dans l’espace public. On peut citer par exemple le ministre de l’Éducation nationale François Bayrou en mars 1996 ou en mars 2006 ; ou bien le ministre de l’Éducation nationale Vincent Peillon en octobre 2013. Mais elle est toujours là de façon implicite et latente.




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Cette figure de l’école comme « sanctuaire » (à la fois protecteur et à protéger) n’est pas étrangère non plus au fait que nous « appréhendons » (aux différents sens du terme) tout particulièrement les « séparatismes ». Dans la dernière période, on constate une valse-hésitation dans la façon de nommer le projet de loi en cours d’examen : projet de loi « contre le séparatisme » ou projet de loi « confortant le respect des principes de la République ».

Dans la première formulation, on est plus proche du bonapartisme (et de la volonté exprimée explicitement par Napoléon I que « l’État fasse nation » par le truchement de l’école), et dans la seconde formulation de la République jacobine « une et indivisible ».

« Gouvernement des esprits »

Cette figure symbolique et métaphorique de l’école comme « sanctuaire » vient de loin. Elle est le produit de toute une histoire qui a beaucoup plus d’effets sur nous qu’on ne le pense et qui vaut d’être revisité.

L’Église a inventé l’école sous une forme institutionnelle forte, selon le grand sociologue Émile Durkheim, parce qu’elle avait un projet d’emprise universelle sur les âmes, celui de la « conversion ». Et le sens profond de l’histoire de l’école française – y compris celle de l’école républicaine et laïque – est celle de la longue laïcisation de ce projet de « conversion » a-t-il ajouté.

« Pour nous aussi, l’école à tous les degrés doit être un lieu moralement uni qui enveloppe de près l’enfant et qui agisse sur sa nature tout entière […]. Ce n’est pas seulement un local où un maître enseigne ; c’est un être moral, un milieu moral, imprégné de certaines idées, de certains sentiments, un milieu qui enveloppe le maître aussi bien que les élèves. »

Jules Ferry lui-même l’avait déjà dit à sa façon lors de son discours-programme à la Chambre des députés du 26 juin 1879

« Quand nous parlons d’une action de l’État en éducation, nous attribuons à l’État le seul rôle qu’il puisse avoir en matière d’enseignement et d’éducation. L’État n’est pas docteur en mathématiques, docteur en physiologie, en chimie. S’il lui convient, dans un intérêt public, de rétribuer des chimistes, des physiologistes, s’il lui convient de rétribuer des professeurs, ce n’est pas pour créer des vérités scientifiques ; ce n’est pas pour cela qu’il s’occupe d’éducation. Il s’en occupe pour maintenir une certaine morale d’État, certaines doctrines d’État qui sont nécessaires à sa conservation. »

Au XIXe siècle, la France a été le pays des révolutions et des changements de régime. La question politique principale a été celle du « gouvernement des esprits » comme l’on disait alors : comment « mettre de l’ordre dans les esprits ? ».

Pour cela il était hors de question de faire confiance aux familles, aux communautés, au local, bien au contraire. D’où la mise en place d’une école d’État centralisée, le recours à la figure d’une école sanctuarisée qui ne soit pas une simple organisation scolaire mais une « institution » (consacrée sinon sacrée).

Un rôle quasi démiurgique ?

Quand en 1806 Napoléon crée « l’Université » (c’est-à-dire non pas l’enseignement supérieur mais le mode d’organisation et de direction étatique de l’école en France), il ne fait pas mystère de la finalité profonde de l’opération :

« De toutes les questions politiques, celle-ci est peut-être du premier ordre. Il n’y aura pas d’État politique fixe s’il n’y a pas un corps enseignant avec des principes fixes. Tant qu’on n’apprendra pas, dès l’enfance, s’il faut être républicain ou monarchique, catholique ou irréligieux, l’État ne formera point une nation ; il reposera sur des bases incertaines et vagues ; il sera constamment exposé aux désordres et aux changements. »

François Guizot (ministre de l’Instruction publique sous Louis-Philippe et l’un des protagonistes de l’école française au XIXe siècle) a été aussi très clair et a même théorisé dans le même sens. Pour comprendre comment une Chambre des députés libérale a pu voter l’instauration d’un service d’enseignement public centralisé dans le primaire, il convient de ne pas perdre de vue quelle est la conjoncture : les séditions républicaines et sociales, parisiennes et lyonnaises (celle des Canuts) des années 1831 et 1832 (toute ressemblance avec des événements récents ou actuels serait purement fortuite…).

Selon Guizot, « Quand le gouvernement a pris soin de propager, à la faveur de l’éducation nationale (..) les doctrines qui conviennent à sa nature et à sa direction, ces doctrines acquièrent bientôt une puissance contre laquelle viennent échouer les écarts de la liberté d’esprit et toutes les tentatives séditieuses ».

L’État central se fait éducateur pour que l’ordre – son ordre – règne. Il doit donc, se faisant, se subordonner le local, le « remettre à sa place » comme l’a dit François Guizot dans sa célèbre « Lettre aux instituteurs » du 16 juillet 1833 : « L’instruction primaire universelle est désormais une des garanties de l’ordre et de la stabilité sociale et politique »

À partir de là, on a comme idée de base en France que l’école peut avoir un rôle quasi démiurgique et qu’elle peut et doit être l’une des voies privilégiées de résolution de tout problème important.

Au XXe siècle cela a abouti à ce que l’on considère que l’école d’État devait être un vecteur important du développement économique (notamment avec la loi Astier de 1917, la Charte de l’enseignement technique », ou bien la loi du 3 décembre 1966 qui proclame que « la formation professionnelle est de la responsabilité de l’État »). Au XXe siècle également, cela a abouti à ce que l’on considère que l’école doit être un lieu majeur de réduction des inégalités et jouer un « rôle d’ascenseur social ».




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Cependant, ce n’est pas parce que cette institution est très valorisée que ses personnels le sont… Mais il n’est pas certain que cela puisse durer longtemps, très longtemps si les personnels concernés se sen-tent maltraités (sans prises en considérations réelles de leurs difficultés, de leurs existences, de leurs avis). Dans leur très grande majorité, ils ont tenu jusque là. Et on devrait réellement leur en savoir gré et avoir envers eux une réelle considération.

Claude Lelièvre, Enseignant-chercheur en histoire de l’éducation, professeur honoraire à Paris-Descartes, Université de Paris

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


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